Stratégie, tactitique et technique du dressage.


Les vérités profondes émergent du doute nourri par une curiosité insatiable.

CE QUE LE DRESSAGE DOIT DEVENIR

Le tango universel du dressage se danse à trois : l’improbable hybride de la panthère et du flamand rose fondu dans le bronze luisant du cheval, et l’Homme, ou la Femme, qui les suit et les guide, tel la moitié du Centaure initiatique. Souples et hiératiques, sereins et vibrants, ils dansent au son acide d’un accordéon suave célébrant la douceur intense de leur entente. Ensemble, ils maitrisent des rythmes liés par une cadence majestueuse que contrôle des rênes de soie, ou pas de rênes du tout. Les efforts invisibles du cheval et du cavalier forment une dentelle diaphane d’émotions intimes, Ils se sont découverts et vivent un secret sans partage. Ils vivent et n’apprennent plus, se réjouissant ensemble de la brillance des airs. Le cheval s’enthousiasme et émerveille même le plus habitué des observateurs, conquis par la grâce du geste. Cinq millénaires de tentatives ardentes et maladroites culminent en de rares moments dans cette perfection de l’Art Équestre dont tous les cavaliers rêvent et que les chevaux espèrent.

Pour le cavalier déjà confirmé, il faut considérer une stratégie du dressage qui implique une vision claire de ce que doit devenir le cheval dressé. Quel cheval veut-on présenter et surtout quelle sensation voulons-nous ressentir depuis la selle ? Un cheval est agréable à monter s’il anticipe mentalement nos désirs sans précéder les demandes des aides par des actions intempestives. Il se livre sans retenue dans le respect des aides (la légèreté bien comprise du cheval qui « avance dans la flexion » de la colonne vertébrale). Il « donne son dos » pour porter son cavalier moelleusement et s’exprime par un mouvement généreux des membres qui inclue la flexion et l’extension de toutes leurs articulations. Il montre ce qu’il sait faire avec un plaisir évident. C’est « le cheval qui se manie de lui-même et se plait dans son air » comme l’ont évoqué Xénophon, Pluvinel et L’Hotte, pour ne citer qu’eux. Les concepts d’impulsion dans la souplesse et l’équilibre, la rectitude et la symétrie, la légèreté des réponses aux aides tant de la main que des jambes, la cadence et le brillant des allures sont généralement acceptés comme désirables par tous les cavaliers quel que soit leur langage, mais les interprétations individuelles peuvent s’avérer très nuancées, en accord avec les races et les disciplines choisies ainsi que les traditions qui ont formé les cavaliers /dresseurs.

La meilleure manière d’arriver à son but commence par une étude des méthodes éprouvées, au moins dans leurs principes (plus que dans les moyens choisis), sans s’inquiéter si elles nous viennent de telle ou telle école de pensée. Chacune a des méthodes de prédilection qui ont toutes une efficacité particulière en fonction des races qui les ont motivées. Elles nous serviront de « GPS », ce qui impliqueront détours, raccourcis et des changements de direction occasionnels, sans jamais perdre de vue la vision finale qui doit guider le dressage dans l’amour du cheval. Il y a des trésors à découvrir dans la littérature classique, mais il faut bien vouloir s’efforcer de les déchiffrer, car les anciens maitres (ceux qui ont écrit en fin de carrière avec une expérience maximale) ont beaucoup ressenti, et parfois beaucoup compris, sans toutefois se sentir obligés de tout expliquer par le menu. Les livres parlent surtout de l’analyse nouvelle qui est unique à l’enseignement de l’auteur et laisse de côté ce qui allait de soi dans le contexte de l’époque. L’élégance de l’écriture dissimule souvent les difficultés quotidiennes du dressage que tout le monde, même les plus grands maitres ont rencontrées. Le développement de chacune des méthodes classiques s’est arrêté le jour où l’auteur a cessé d’écrire, à moins qu’un disciple bien informé n’ait continué à creuser le sujet. Ça ne veut pas dire que leur évolution doit en rester là et tout un chacun doit se sentir libre d’y ajouter son grain de sel ou peut-être même une pierre à l’édifice de l’équitation.

D’autre part, l’apprenti dresseur doit s’adonner à une observation continue des résultats de ses actions afin de les adapter sans cesse à la nature individuelle du cheval. Il ne faut jamais oublier que chaque cheval a ses propres talents et ses limites naturelles. Les uns le feront briller avec facilité tandis que les autres peuvent le stresser quotidiennement s’il est forcé au-delà de ses capacités ou si le dresseur s’y prend trop souvent mal. C’est ce stress constant qui produira des coliques parfois fatales et des accidents ostéotendineux. Il faut comprendre et respecter les capacités de chaque cheval sans les exploiter au-delà de ce qu’il peut faire, simplement pour satisfaire la vanité du cavalier. Un cheval qui se sent capable de faire ce qu’on lui demande finit par aimer « son métier », parce qu’on lui a donné l’opportunité d’y exceller. L’Art Équestre est ainsi défini par le maitre Oliveira : « c'est la sublimation de la technique par l'amour. » Il faut d’abord aimer ses chevaux pour bien les dresser, mais sans éviter d’apprendre la technique qui demeure indispensable !

La tactique de la leçon consiste à conduire l’éducation quotidienne du cheval de telle sorte qu’il réponde aux aides de mieux en mieux tant longitudinalement que latéralement en devenant chaque jour plus équilibré, plus souple, en meilleure forme physique et surtout plus heureux et relaxé dans son travail. Ce principe gymnique a été central au dressage depuis l’ère baroque, car bien compris, il est transformateur du cheval. Au départ, les Italiens ont longé autour du pilier unique sur une piste pour mettre le cheval « en avant » et plus tard assoupli sur deux pistes (voyez les gravures de Pluvinel qui a appris d’eux). La Guérinière et Marialva nous ont fourni des plans de terre qui nous montrent des séries continues d’exercices. Nuno Oliveira était un maitre des enchainements « ou chaque exercice contient le suivant » pour former une pédagogie biomécanique sans heurt. Il considérait par exemple que « le passage du coin, l’épaule en dedans et le petit cercle constituait un mariage à trois » qui les rendait indissociables dans la leçon, chacun aidant ou corrigeant l’autre, tout en les liant par la flexion du dos. Le premier est un moyen facile décrit par La Guérinière pour accentuer le pli du dos grâce à l’encadrement des pare-bottes, le deuxième garde le pli tout en améliorant l’aplomb par une étendue latérale accrue des membres qui sortent ainsi de leur ligne d’équilibre habituel ( encore le pli ) et enfin, le cercle rétablit la poussée vers l’avant avec un dos arrondi qu’on peut allonger dans l’extension progressive de la ligne de dessus vers « le nez par terre » comme l’a conseillé l’écuyer-en-chef Duthilh dans sa « Gymnastique Complete de L’Encolure ».

Oliveira, qui avait réussi la synthèse entre La Guérinière, Baucher et Steinbrecht, a souvent dit : « L’impulsion est l’aspirine du dressage [J3] », car elle [J4] sert à tout arranger (il le disait aussi à propos de l’épaule en dedans). Puis il nous donne l’ordre des priorités premières : « Cherchez d’abord à obtenir le croisement des membres (pour l’aplomb), ensuite le pli, et seulement après le cheval pourra s’arrondir (dans le dos). » Il définit aussi la conséquence inverse du manque de rondeur par le travail en force : « La boiterie est la conséquence d’une équitation dans laquelle le cheval travaille avec le dos creux ». Le fameux ostéopathe Dominique Giniaux insistait sur le fait que les accidents ostéotendineux viennent plus du stress mental qui crée la tension physique que de la position dans laquelle le cheval est forcé. Oliveira concluait : « Lorsque je monte un cheval, je n’exécute pas les mouvements dans le but de briller en public. J’effectue les exercices pour assouplir et décontracter le corps du cheval. Les enseignants actuels ne connaissent pas les méthodes anciennes, comme les flexions de Baucher, par exemple, et ils sont donc dans l’incapacité de les utiliser pour améliorer le cheval. »

Le cavalier (et non pas le cheval décidant par lui-même) doit « changer l’idée » que le cheval se fait de la leçon en le maintenant attentif par la modification fréquente de la direction, la position, le pli, la vitesse, l’amplitude et la cadence des allures aussi souvent que possible (les transitions). Cela enseigne au cheval à s’adapter physiquement et mentalement à son travail par la pratique des combinaisons les plus variées de ces « éléments premiers » du dressage. Ces transitions doivent être répétées symétriquement jusqu’à ce que leur performance et leur réponse deviennent aussi égales que possible. Cela consiste par exemple à changer de direction sans changer de pli, à changer de pli en gardant le cheval droit, à passer de l’épaule droite en dedans à l’appuyer à droite, à changer la position de l‘encolure sans modifier l’amplitude de l’allure, etc. Une tactique utile consiste par exemple à demander le nouvel exercice dans un endroit habituel, et l’exercice connu dans un endroit différent.

Le dresseur doit aussi vérifier qu’il peut obtenir les exercices extrêmes et opposés : la tête au plus haut et au plus bas, l’équilibre restant constant, l’allongement total de l’encolure et sa flexion complète, l’énergie du piaffer alternée avec l’immobilité totale, etc. Beudant a bien expliqué cette idée à propos de l’alternance entre l’élévation de l’encolure et le ramener outré pour fixer la base de l’encolure. En fait, cette gymnastique recule et remonte la base de l’encolure, et par conséquence le garrot, ce qui améliore l’équilibre et l’impulsion. Dans tout ce travail, la relation entre la fonction restrictive de la main du cavalier qui « moule » l’encolure par les flexions en tout genre, et l’impulsion du cheval démontrée par l’avance des coudes, celle-ci doit avoir le premier mot, et la main le dernier. Cela veut dire « envoyer le cheval sur la main d’abord » car il ne peut être fléchi sans contact initial. De La Guérinière à Steinbrecht, Raabe et Oliveira, tout le monde est d’accord là-dessus. Le raccourcissement relatif de l’encolure devient excessif quand il se traduit par un raccourcissement ou un raidissement du geste des antérieurs (ou parfois aussi du dos ou des postérieurs), c’est-à-dire que la rigidité du cheval s’étaye contre la main et l’impulsion est refluée vers l’arrière. C’est « l’acculement en mouvement » démontré dans les transitions compromises, les arrêts désengagés et les reculers grotesques. Il faut donc savoir laisser le nez avancer un peu pour que les pieds avancent autant que nécessaire en fonction de l’allure demandée. Après, on peut de nouveau augmenter la flexion relaxée de l’encolure sans diminuer le mouvement.

La flexion engage « l’arquement » de l’encolure en soulevant le sternum (muscles sterno-céphaliques pour l’équilibre) mais doit toujours tirer les coudes vers l’avant (muscles brachio-céphaliques pour l’impulsion). Il faut bien observer qu’un cheval qui veut avancer en liberté ou sous la selle a toujours le nez tendu vers l’avant dans une position fixe qui ne recule jamais (quand il se dirige vers un obstacle, veut gagner une course « d’un nez », ou poursuivre une jument). C’est cette position dans le mouvement qui fait avancer les antérieurs « sous le nez » - et les postérieurs sous la masse par action réciproque. Le cavalier doit donc comprendre que « fixer le nez vers l’avant » est au moins aussi important pour obtenir l’impulsion dans l’équilibre que le ramené qui préoccupe tous les cavaliers, du dresseur débutant aux auteurs les plus respectés. Decarpentry n’a pas assez insisté sur cette condition sin-qua-non du commencement du dressage en main dans « La Méthode de Haute École De Raabe » que personne ne lit plus. Les dessins explicites de Margot nous montrent qu’on doit tirer le cheval en avant par les rênes en tapotant sa poitrine jusqu’à ce qu’il avance franchement et prenne le contact avant qu’on ne commence à le fléchir. C’est notre faute si nous passons trop vite là-dessus. C’est de cette lacune que viennent tous les maux de « la fausse légèreté ».

On ne doit jamais tenir plus qu’on peut pousser, ni pousser plus qu’on ne peut tenir.

Par des répétitions fréquentes demandées sans trop insister sur leur perfection immédiate, les transitions deviendront de plus en plus fluides au fur et à mesure que « l’équilibre instable » du cheval, son agilité, s’améliore. Cela vient d’une plus grande promptitude des gestes en toutes directions qui sert à contrecarrer l’inertie en dépassant l’amplitude normale des mouvements passifs de l’allure qui suffisent à la locomotion. Il en retirera un sens accru de sa sécurité physique par un équilibre amélioré qui est la source première de sa relaxation tant émotionnelle que musculaire. En diminuant la peur de tomber propre à tout animal qui doit sa survie à sa vitesse de fuite en terrain varié, on réduit son anxiété latente. Le rythme cardiaque baisse et le dos se relâche, faisant baisser la tête vers la position de l’animal qui broute.

Il faut noter ici qu’on assume que tout part du cerveau et que les émotions déterminent toujours le physique. En fait, nos sensations physiques déterminent la plupart de nos réactions émotionnelles. Il faut comprendre un peu la fonction neurologique en expliquant ce que sont les voies neuronales afférentes et efférentes qui déterminent la direction de l’information neurologique dans le corps.

Voir Oliver Sacks : https://lapsychologie.weebly.com/le-systegraveme-nerveux-central-et-peacuteripheacuterique.html

La voie afférente est le chemin qu’utilise l’influx nerveux pour se rendre au système nerveux central. Lorsque le corps détecte une information sensorielle (par les nerfs sensitifs de la peau ou du pied), l’influx nerveux passe par les voies afférentes de l’organisme, pour se rendre au cerveau depuis la peau. Elle détermine une réaction physique ou émotionnelle essentielle à la survie immédiate, sans avoir à subir le délai d’un aller-retour.

La voie efférente est le chemin qu’utilise l’influx nerveux pour se rendre au système nerveux périphérique (du cerveau/moelle épinière vers la peau). Lorsqu’une commande, motivée par une information périphérique est envoyée par le système nerveux central, l’influx nerveux emprunte les voies efférentes jusqu’aux nerfs moteurs et ainsi, l’action peut être effectuée. Elle détermine une action cognitive innée, habituelle ou réfléchie. Sans information périphérique, il ne peut y a avoir de décision.

Le nerf vagal qui est engagé dans la partie parasympathique du système nerveux autonome est compose a 80% de fibres afférentes et seulement 20% de fibres efférentes. Il donne donc plus d’information au cerveau qu’il n’en reçoit.

Par exemple, si quelqu’un, par mégarde, cogne son gros orteil sur le coin de son lit, il ressentira une douleur et alors, les nerfs sensitifs enverront le message « douleur », (et créera aussi une réaction émotionnelle immédiate de peur, colère, frustration, etc.) par les voies afférentes du système nerveux périphérique et iront jusqu’au système nerveux central. Ainsi, l’information sera traitée et analysée. Le cerveau enverra par exemple la commande « prendre le pied dans ses mains et le frotter » (action cognitive apprise ou innée). Le message de retour passera par les voies efférentes des nerfs moteurs et la personne pourra effectuer l’action.

En ce qui concerne l’équitation et le dressage : la perte d’équilibre a une action afférente (depuis les pieds et le « righting mécanisme » place dans l’oreille interne qui effectuent la fonction réflexive de la proprioception) et elle crée une réaction émotionnelle immédiate de peur et de colère (le cheval qui trébuche au galop se réengage dans la foulée suivante et se met en boule, puis donne un coup-de-cul « de colère » en réaction à la peur instantanée de tomber qu’il a subi). Si cette peur de tomber devient chronique par mémoire d’une peur passée et par anticipation d’une peur à venir, l’anxiété s’installe. Cela se traduit par une raideur musculaire du côté ou le cheval se couche le plus. Donc, la remise en équilibre physique (en aplomb de droite à gauche ou de droite à gauche) crée une relaxation physique rapide du coté contracté qui diminue l’anxiété émotionnelle. Si cette remise en équilibre physique est étendue à chaque situation dynamique du mouvement, l’anxiété émotionnelle diminuera et sera finalement annulée dans toutes les situations habituelles. En raccourci, un accident physique de la locomotion crée une réaction émotionnelle négative qu’une solution physique supprimera très rapidement. L’apprentissage et la mémoire musculaire sont aussi émotionnels et cognitifs. La neurologie unit indissociablement le physique, le mental et l’émotionnel dans le comportement.

Par la remise en équilibre, le cheval sort ainsi de l’état sympathique (« la résistance passive, la fuite ou la lutte ») par le déclenchement de l’état parasympathique (« le repos et la digestion »). Cela est toujours marqué par l’action du nerf vague dont le premier effet est la salivation suivie de la déglutition déjà décrite en détail par Baucher et évoquée par La Guérinière (« la bouche aimable »). Les mouvements de la langue qui remonte pour avaler puis redescend en léchant sont le résultat de cette relaxation autant qu’elle peut aider à la déclencher.

Le vocabulaire du cheval doit être augmenté en le familiarisant avec les différentes techniques du dressage. Il faut donc les pratiquer et leurs avantages deviendront vite apparents quand le cavalier se remettra en selle :

  1. Le travail à la longe qui lui apprend à se livrer dans le mouvement en avant et le met d’aplomb par l’apprentissage des tournants. C’est à la longe que le cheval, « se maniant de lui-même », assimile le contact, le pli, l’allongement de la ligne du dessus et la cadence par les allongements ;
  2. Les assouplissements à pied avec la cravache selon l’enseignement du capitaine Raabe pour améliorer la posture en acceptant calmement la contrainte progressive des aides vers une impulsion supérieure et plus symétrique ;
  3. Aux longues rênes pour augmenter encore l’impulsion et commencer le rassembler tout en développant la qualité du contact avec la main (le cheval qui apprend à la suivre sans jamais la forcer) ;
  4. Les piliers qui aident à créer la mobilité au début de la haute-école, puis à amener le piaffer vers le degré d’excellence dont il est capable.

Toutes ces formes de dressage apportent des qualités différentes au travail entrepris. Encore plus important, elles apprennent au cheval à répondre à des « mots différents » (mais avec un sens similaire) par les mêmes actions : par exemple demander les départs au galop sur la jambe intérieure ou extérieure, par l’assiette ou la main seule. Elles lui apprennent à répondre plutôt qu’à réagir.

Quand on manque encore d’expérience, il faut simplement répéter fréquemment des demandes simples : tourner à droite, puis à gauche, aller plus vite et plus lentement, allonger le geste et le raccourcir dans le pas par l’action de l’assiette, etc., puis on complique petit à petit. Si la demande est évidemment trop grande, le cheval se défendra, il faut donc retourner au plus facile. Si le cheval oppose une simple résistance passive, il faut insister calmement, peut-être en changeant l’angle, le degré, la forme ou la fréquence de l’action. Par exemple : les actions rapides des jambes ou de la cravache relaxent tandis que les actions ponctuelles stimulent ; les vibrations s’appliquent aux raideurs opposées au contact par le cheval, tandis que les demi-arrêts sont utiles pour les problèmes d’équilibre sur une rêne ou l’autre (Baucher). Si le cheval cède facilement, on peut demander progressivement plus. C’est comme ça qu’on apprend à dresser.

Les dresseurs débutants admirent les plus anciens qui semblent toujours savoir quoi faire. En fait, ceux-ci osent surtout essayer, sentir, observer (surtout observer !), s’adapter et se souvenir de ce qui marche, quand ça marche et jusqu’où ils/elles peuvent insister ou au contraire, faire retraite. Ils sont guidés par le tact qu’ils/elles ont construit pas à pas avec l’expérience de l’empirisme. Oliveira a noté : « Il y a le tact de la main, le tact de l’assiette et des jambes (la technique de l’École des Aides), et aussi le tact de la tête (la réflexion sur la tactique) ». Chaque exercice est simplement une pratique à laquelle il faut se risquer pour y exceller un jour. Plus on essaye et mieux ça marche, car le progrès ne se compte pas en fonction des heures de monte, mais en fonction du nombre de transitions demandées, obtenues puis perfectionnées. Il est toujours plus efficace de répéter les demandes douces de transitions plutôt que d’essayer de manipuler le mouvement ou la position du cheval sans changer l’exercice. On voit trop de cavaliers s’y adonner futilement dans une poursuite de la perfection à chaque niveau de la progression.

Il faut répéter la même transition avec des aides en diminution ou faire une demande plus poussée sans augmenter les aides après la première fois. Mon maitre Dom Jose Athayde m’a conseillé un jour à propos d’un cheval qui maitrisait mal les variations du trot : « une foulée 5% plus longue, une autre 5% plus courte, pas plus, et regardes bien comment ça progresse … ». Il faut donc éviter de faire des cercles interminables en tiraillant sans cesse sur les rênes qui ne font qu’abrutir le cheval, lasser le cavalier… et tuer d’ennui le spectateur.

L’autre aspect de la tactique équestre est la pratique du « conditionnement opérant » qui est basé sur la reconnaissance verbale immédiate d’un comportement désirable ou indésirable et d’y répondre instantanément par une des actions appropriées (« les quatre quadrants »). Au fur et à mesure que le cheval répond comme on le souhaite en comprenant les demandes, l’intensité des actions du dresseur diminue rapidement dans une mesure significative. C’est par cette diminution des aides que le cheval apprend à se prendre en charge (« l’autoéquilibre » du cheval qui maintient sa vitesse et sa cadence, « l’auto-impulsion » quand il avance courageusement quoi qu’il ait devant lui, « l’autodirection » du cheval d’obstacle ou de tauromachie qui maintient sa ligne dans la légèreté, etc.). Baucher, encore lui, l’avait annoncé : « demander souvent, se contenter de peu, récompenser beaucoup ». Ce qu’on appelait « le tact équestre » est devenu une réalité scientifique qui peut être étudiée et développée. La science de l’apprentissage rejoint l’Art Équestre et mérite toute notre attention.

La technique du dressage est vraiment basée sur l’équitation, c’est-à-dire l’ensemble des moyens nécessaires pour que le cavalier obtienne les résultats recherchés et surtout n’empêche pas le cheval de faire ce qu’on lui demande. Pour cela, il faut d’abord apprendre à lier nos mouvements aux siens bien avant de tenter de les contrôler. La différence entre un cavalier qui suit son cheval et un cheval qui suit son cavalier est un dixième de seconde en retard ou un dixième en avance dans le timing de nos actions. C’est aussi un corps qui sait se rigidifier impérativement pour imposer sa direction au cheval et se relâcher instantanément avant l’instant même où il acquiesce (« la main de béton » qui devient instantanément « la main de crème » quand le cheval cède). Le général Durand a dit judicieusement que « L’équitation, c’est très simple dans les principes, mais ça tend à se compliquer dès qu’on monte à cheval ». Il faut donc que le cavalier ou la cavalière donne toute leur attention à ces détails biomécaniques qui sont fondamentaux au succès du dressage. Chaque muscle du cavalier contracté « à faux » créera une tension indésirable du cheval, chaque décontraction du cavalier relâchera le cheval, sans toutefois perdre l’énergie et la position nécessaires à une conduite efficace. Savoir changer son fusil d’épaule quand une approche n’a pas le résultat escompté, trouver l’aide qui convient aujourd’hui quand celle qui marchait hier n’est plus efficace, c’est tout cela qui constitue le vocabulaire du cavalier. Oliveira répétait souvent qu’il ne fallait pas s’étonner quand une « mauvaise leçon succédait à une bonne », car le cheval peut être fatigué des efforts d’hier ou simplement être encore confus à propos d’une nouvelle information mal appréhendée.

Il faut donc bien réfléchir à la stratégie du dressage et à la tactique des leçons, tout en améliorant sans cesse tous les détails techniques de la mécanique du cavalier, parfois infimes, sans lesquels le succès est impossible.

Et l’amour pour nos chevaux, toujours.